vendredi 2 novembre 2007

Colère et Impatience

Quelle tête elle a maintenant. J'en ris tellement fort que je crois que ça la déconcentre complètement sur ce que je suis en train de lui faire.


Je l'ai étudié. A son travail. A son club de gym. A la sortie de l'école de ses enfants. Au restaurant avec son "amor". A son travail, hurlant sur ses collègues. Dans son magasin de fringues préféré avec sa copine vendeuse. A la sortie de l'église, remerciant tellement le père André qu'on se demande s'il ne vient pas de sauver une dizaine d'enfants du cancer par simple imposition des mains.
Elle renifle avec son nez de fouine. Cherche les occasions. Complote de la même manière qu'elle le faisait avec ses camarades de classe lorsqu'elle avait 10 ans. "Moi je l'aime pas, faut la faire punir par la maîtresse". Et des caprices à 45 ans. " Ca fait trois mois que je travaille ici, je veux une augmentation !". Et des yeux doux de biches comme à 25 ans. "Vous ne voulez pas m'aider à me tenir les fesses pendant que je me muscle le dos, monsieur l'entraîneur ?". S'insurge comme une victime lorsque "c'est cette femme derrière moi qui a mis ce bracelet en or massif serti de diamants dans mon sac !!! Je vous le jure monsieur de vigile !"

Sauf qu'à trop pousser les autres, ils avaient décidé de ne plus se laisser faire. Alors les portes se fermaient aussi vite que ses charmes n'étaient plus efficaces, que les rides se marquaient, que les seins rejoignaient Monsieur Nombril. Et elle devenait mauvaise.

L'idée ne lui avait même pas traversé l'esprit. Même après qu'elle ait poussé violemment la jeune femme portant son bébé dans les bras parce qu'elle ne descendait pas assez vite du bus. L'enfant et la mère à terre, les deux visages dans des morceaux de verre brisé et cette vieille femme réprimandant encore la mère et l'enfant qui hurlaient trop fort de douleur.

Le diagnostique des médecins pour les deux victimes ? Qu'est-ce qu'elle en avait à foutre de toutes façons ! Depuis quand les jeunes prennent le bus ? Son bus ! Et avec un enfant, il est de bon ton de claquer encore de l'argent dans une voiture. Le bus, c'est pour les gens qui n'ont pas les moyens, comme elle, la pauvre, qui gagne juste assez pour se payer un palace, une piscine et peut-être un cabriolet pour se féliciter d'avoir perdu un autre kilo.

C'est sur que là, pour le coup, elle pourra s'en acheter plusieurs des cabriolets. Mais personnellement, je ne sais pas comment elle va faire pour les conduire. Elle ressemblait un peu à un rat avant. Je ne sais pas à quoi ça ressemble maintenant. Je n'ai pas assez de recul par rapport à ce que je viens de faire. Je me demande juste si je continue, si je la laisse comme ça, si je l'achève... Je vais juste regarder si elle n'a pas sa barre chocolatée préférée dans son sac et après l'avoir mangé, je prendrais une décision.

Ce soir

Son manteau. C'est son manteau, j'en suis sure. C'est pas vrai. Il est venu ici. Il l'a laissé rentrer chez nous malgré la conversation de la dernière fois. Il a pénétré notre intimité et bien sûr comme toujours, ça ne fait rien à cet homme en qui j'avais placé toute ma confiance.

C'est son manteau. Il a sûrement été dans la chambre, été jusque dans la salle de bain où nos sous-vêtements traînent. Je n'arrive pas à croire qu'il a fait ça. Je lui avais dit qu'après tout ce qui s'était passé, j'avais besoin de temps. De temps pour me remettre et il fait revenir ce déséquilibré chez nous. Dans notre maison. A croire qu'il gagnera toujours. Il reviendra toujours. Ce ne sera jamais chez nous. On n'aura jamais la paix. Que faut-il que je fasse ? Que je parte en douce ? Que je les abandonne tous les deux puisqu'ils s'entendent si bien ?

C'est son manteau chez nous. J'hallucine trente secondes. Le temps de saisir cette chose et de réaliser, d'imaginer la journée d'aujourd'hui entre ces murs. De me rendre compte de la trahison que ça signifie. De la confiance qui s'évapore par chaque parcelle de peau qui me couvre. J'imagine son rire gras dans la cuisine, son étonnement sur la vue qu'on a au balcon. Je vomis ses réflexions stupides, le manque de consistance de son avis, l'inutilité de ses propos. Mais surtout je me rends malade en pensant qu'il a inspecté ma bulle, qu'ils sait "comment c'est chez moi", qu'il sait où je vis, qu'il sait à quoi ressemble ma chambre, qu'il a bu dans un des verres que je porterai probablement à mes lèvres, qu'il a envié des objets que j'ai acheté avec mon amant. Je voudrais, à cette seconde, le pousser du balcon, le noyer dans la baignoire, lui faire manger la merde que je chie tous les matins.

C'est son manteau chez moi. Après le harcèlement, l'omniprésence de son regard, sa perpétuelle demande d'attention, ses pleurs quand je ne lui adressais aucun regard à trois heures du matin, moment préféré de mon organisme pour faire pipi. Et là, il revient. Il va tout tenter pour avoir droit de visite, droit d'entrer, droit de s'incruster, droit de décider, de séjourner et de me demander des comptes.

Je ne dis rien. Je repose le manteau. Je doute mais je réfléchis. Ce n'est probablement pas le sien. Je deviens juste folle et parano. Comme lui. Il a ce qu'il veut ce taré congénital. Je vais le pousser à ne plus revenir, à comprendre que la prochaine fois qu'il pose la main sur notre porte d'entrée, ce sera la dernière parce que je la lui couperai avec mon nouveau hachoir de cuisine. Que je testerai les recettes de cuisine de Monseigneur Lecter. Que ses "amis" ne se forceront plus à le supporter tous les soirs jusqu'à l'aube.

Je ne dis rien. Il y a probablement une raison. C'est peut-être un oubli de la part de mon compagnon. Oublier de me dire que la personne que je hais le plus au monde est passé à la maison. Oui, probablement. C'était juste pour que je ne m'emballe pas. Il ne me l'a pas dit parce qu'il savait que j'allais être furieuse. Et il avait raison. Parce que je suis furieuse. L'autre crétin gagnera toujours. Faible comme une larve, il rampera comme un chien pour avoir un semblant de reconnaissance auprès des personnes qui l'estime le moins.

L'estime. Oui, c'est ça qui manque. C'est ça qui fait qu'on peut réellement supporter quelqu'un. Comme John qui s'est comporté comme un salaud mais qui avait de la consistance. Son intelligence lui a permis de s'en sortir avant que je comprenne tout et j'admets à posteriori qu'il a bien joué. Ce fils de pute mérite un peu d'estime pour l'atrocité de son geste et la minutieuse préparation de son jeu. De l'estime, j'en ai pour les gens qui s'en sortent malgré tout, pour les assassins qui avaient préparé quelque chose. Bien sûr, un crime commis sur un coup de tête ne révèle qu'une basse pulsion humaine. Ainsi, je ne vois pas où est le beau de l'acte. Mais la préparation. La mise en place. La mise à mort. Le côté théâtral... Mon dieu mais cette chose n'a rien. Rien pour plaire. Rien d'extraordinaire. Il est d'une telle banalité, d'une telle platitude que c'en est vexant.

On va faire un petit tour de magie, ça règlera le problème.