lundi 22 juin 2009

Le Sorcier

Sur la plage, il y a un vieillard. Un clochard qui danse souvent autour d'un feu.
Pour se réchauffer, disent les gens.

Le vieillard à la longue barbe dessine des cercles avec ses mains, dans les airs. Il marmonne au vent, répond à la mer, hurle aux caprices de la nature.
C'est qu'il est fou, disent les gens.

Le peuple ne le fréquente pas. Des rumeurs vont bon train sur son dos. Il s'en fiche. Il reste à l'écart pour mieux méditer.
Surtout que c'est un grand malade, répètent les gens.

Tout l'intérêt du personnage réside dans le mystère qui l'entoure. Les histoires qu'on lui prête ne sont rien de plus que des inepties qu'on raconte aux enfants. On les entend encore à l'instant.
Si tu ne manges pas tes haricots, tu râteras ta vie comme le clodo de la plage.
Vieille mégère, Vilaine harpie.

On est allé le voir, pour savoir. S'approcher du feu, danser avec lui à la tombée de la nuit, murmurer des notes basses de nos voix les plus graves. On avait même ramené des tambours. Ses prières résonnaient d'avantage. Le ciel l'entendait. Le Sorcier se tortillait de plus bel, en transe, crachant dans le feu, provoquant l'ouragan.
Son vieux manteau à terre, il était presque nu. Il traversait les flammes abandonnant toujours un peu plus de tissu derrière lui. Incontrôlable.
Il avait énervé la mer. Vague après vague, elle se rapprochait de lui, de plus en plus en colère. Elle réclamait son corps, elle réclamait le silence. Il ne lui accordait que mépris.

Les tambours tremblaient de plus en plus fort et nos voix s'élevaient partout et nulle part. Il n'y avait plus que cette plage, le Sorcier, la mer et nous trois.

Elle y est presque. Elle se jette sur le sable comme une désespérée, sous nos yeux inconscients et le Sorcier continue de la narguer. Elle s'approche encore et atteint désormais son feu. Encore un élan et elle l'aura éteint.
Le Sorcier, les pieds dans l'eau, perdant petit à petit l'équilibre sur le sable inconsistant, continue malgré tout à marmonner et à bouger. Le diable ne l'aurait pas plus fait bouger.
Cela fait plus d'une heure que leur petit jeu dure. La mer commence doucement à se retirer. A-t-elle compris que le Sorcier resterait sur sa plage ? C'est têtue une divinité de la nature. Très.

L'orage se met à gronder, le vent souffle dans les cheveux du vieillard. La pluie qui tombe, de plus en plus violente, nous gêne mais nous sommes et nous resterons là. Tous ensemble et unis, dans une seule et grave mélodie. S'il ne tombe pas, nous ne faillirons pas.

Sauf que...

Une immense vague arrive vers la plage, prête à s'abattre, à frapper. La furieuse, elle revient. Nous nous pressons dans les rythmes, pensant faire tomber le sorcier de fatigue. Qu'il arrête sa malheureuse provocation. Non. Rien ne le perturbera ce soir. Ce soir, c'est le soir où il ne fait plus qu'un avec le reste du monde.

Et elle se rapproche la belle bleue, hurlante. Pas de peur de notre côté. Nous savons. La question dont on ignore la réponse, c'est jusqu'où elle frappera.

C'est en levant les yeux sur son sommet qu'on comprit. Elle ne vient pas encore pour nous. Ce soir, c'est le soir du Sorcier, du Vieillard, du Père. La mer nous a juste giflé. Elle a frappé le Sorcier de plein fouet et est reparti avec lui.

Ce fut la dernière fois que le vieux clochard dansa sur la plage.