vendredi 10 avril 2009

Hadrien rencontre J.

Il n'habite pas ici. Il passe son temps dans mon quartier. Celui que j'arpente pour me détendre, pour observer les gens, la nature changeante, l'évolution urbaine... Je l'ai remarqué un jour où il attendait à la vitrine d'un magasin, attendant son tour pour commander un paquet de frites. Un vieillard arrivait à sa hauteur. Sans être réellement à sa hauteur mais sans être complètement derrière, Monsieur J. s'était mis en colère. Un commentaire, puis un hurlement et finalement, en pleine rue, devant plusieurs témoins, il s'était mis à agresser verbalement ce pauvre vieux qui avait pour tort de ne pas s'être complètement mis dans la file d'attente.

Près du lac, un groupe de jeunes qui discutaient, dos à un super paysage que je fixais pendant que je m'approchais du bord de l'eau. Au fur et à mesure que je rejoignais cette plage aménagée, j'entends de plus en plus distinctement leur conversation. Avec son blouson en cuir et ses bagues nombreuses, je l'avais reconnu. Il était là Monsieur J. et il n'était toujours pas content. Il était particulièrement énervé par les propos d'un de ses camarades. "t'es trop con. Tu parles comme un philosophe et ces mecs là, j'peux pas les pifrer. C'est qu'des guignols qui parlent de c'qu'ils connaissent pas. J'leur pisse au cul et toi, j'ai envie de t'en foutre une comme c'est pas permis. J'vais t'en mettre une si tu continues !" Quelle idée de parler de cinéma avec Monsieur J. Je commençais à penser qu'il était du genre nerveux à s'énerver pour un rien, se contrariant systématiquement pour des choses futiles. Qu'est-ce qui avait pu déclencher une frustration pareille ?

Monsieur J. partage souvent sur le même trottoir que moi. On se croise. Mon épaule s'en lasse d'ailleurs assez vite. Monsieur J. n'est pas, ce qu'on appelle, une personne délicate. Il n'est pas rare qu'il bouscule les autres passants, affichant un regard noir, préparant déjà une longue tirade entre ses dents dans le cas où quelqu'un oserait lui faire remarquer son impolitesse. Il existe, il est furax et il cherche désespérément quelqu'un pour laisser exploser sa colère. Un jeune, un peu trop grande gueule, certes, mais néanmoins innocent et surtout victime, déjà, d'une bousculade préméditée. Et quelle raclée il s'est pris, gratuitement, pour un rien ? Laissé à moitié mort sur un trottoir, massacré à coups de pieds et de poings devant des témoins démunis, terrifiés par une telle violence et une telle rage. Pourtant, les peureux auront tout de même porté secours et assistance au blessé une fois que la brute a eu le dos tourné.

Le chien enragé est victime d'une maladie transmissible entre animaux mais cet humain, quelle mouche l'avait piqué ? Je cherchais encore des raisons, des explications... On appelle aussi ça des "excuses" pour un tel comportement mais je n'y crois pas. Certains humains subissent le pire et arrivent pourtant à prendre sur eux pour n'offrir que le meilleur. "Ca dépend des gens"... Mais à toujours vouloir excuser, on s'écrase et on tolère l'intolérable. Sarah me dit parfois que je suis trop radical, que j'en attend trop des gens. Alexandre penserait sans doute aussi la même chose s'il n'éprouvait pas un profond mépris pour ses frères humains. J'en attendrais trop d'eux... J'ai sans doute aussi un problème, je ne l'écarte pas. Mais dans l'immédiat, j'ai surtout trouvé un cobaye pour certaines idées que je souhaitais mettre en pratique depuis quelques temps...

J'hésite aujourd'hui. Il est dans un bar mal fréquenté. Je l'ai suivi jusque là. Les bagarres éclatent fréquemment. Des hommes se blessent parfois grièvement mais tout le monde s'en moque. Des rebus de la ville, ceux qu'on ne veut pas avoir dans notre vie, ceux qui nous font assez perdre notre temps, notre énergie ou notre sang. Il racontait ses exploits, s'énervait rapidement contre un auditeur qui doutait de son récit, devenait agressif. Il n'a suffit de rien pour que ça pête. Ils se sont jetés les uns sur les autres, se bousculant, se frappant. Ils étaient plusieurs sur lui. Pas nombreux pour le défendre. J'avais laissé tomber un canif à terre. Ca n'a pas loupé. Le premier qui l'a ramassé n'a pu s'empêcher de s'en servir contre lui. Les autres ne se sont pas écarté. Ils ont continué à l'assommer de coups même lorsqu'il ne remuait plus. Il s'écroulait. Il cherchait un endroit où accrocher son regard. Je le fixais tout en finissant mon verre. Je m'étais éloigné mais j'étais encore suffisamment proche pour qu'il agonise en me regardant droit dans les yeux. Il était effrayé. Depuis très longtemps, il n'avait plus ressenti la peur sous cette forme. Il tremblait. Poignardé aux pires endroits, dans le pire endroit au monde... Personne n'allait s'emmerder à appeler une ambulance ou les flics. J'ai fini mon verre, je suis parti. Lui aussi.

1 commentaire:

velvet a dit…

Ça pète !


C'est couillu comme un caribou !