vendredi 15 octobre 2010

Soulever une pierre, se tâcher de poussière

Sur un chemin que j'emprunte souvent, j'avais déposé une pierre. Je pensais l'oublier. Juste, je l'avais poser.

Et puis je l'ai oublié. Elle faisait partie du chemin. Je ne la regardais plus. C'était ainsi.

Avec le temps, elle n'était plus à la même place. Les souffles du vent, de la pluie mais aussi les passages nombreux des rencontres l'avait déportée dans l'herbe, hors du chemin.

Un matin, j'ai remarqué son absence. Ça faisait longtemps qu'elle n'était plus là mais je ne sais pas pour quelle raison, ce matin, ça avait de l'importance. Je l'ai cherché pendant des jours. Et finalement, un jour, je l'ai retrouvé. Je n'ai pas voulu la toucher tout de suite. J'ai voulu réfléchir à ce que je faisais.
Ce n'était qu'une pierre après tout. Mais je me demandais pourquoi je l'avais laissé là, pourquoi je l'avais laissé à ma vue, comme pour la surveiller. Je me demandais pourquoi j'avais tout de même essayé de l'oublier et pourquoi je l'avais oublié.

Après plusieurs jours de réflexion, je me suis dit que je n'avais rien à craindre de cette pierre. Mais c'est en la soulevant que je me suis tâché avec la terre, la boue et la poussière qu'elle avait abritées depuis tout ce temps.


Ce que j'essayais d'oublier c'est qu'elle était abîmée en dessous. Je l'avais posé il y a fort longtemps de manière à ne voir que les jolies perspectives de ses formes et de ses couleurs. J'avais oublié qu'en-dessous, elle était tâchée elle aussi, qu'elle était brisée. J'avais oublié qu'elle m'avait blessé et qu'elle portait encore mon sang. J'avais oublié que même lorsqu'on laisse quelque chose de sale sur le côté, ce n'est pas comme ça qu'on peut espérer qu'elle se lave de tout.


L'eau coule sous les ponts mais la vase s'accumule, les herbes poussent et effacent ce qui existaient avant.

vendredi 8 octobre 2010

Chercher les emmerdes

Ca devait arriver. Je m'ennuie.

Dans tous les contes, quand quelqu'un a l'habitude de vivre de passionnantes aventures à chaque branche de forêt, il se trouve logique qu'après quelques temps de répit, il s'ennuie. Il a besoin d'action.
Dans mon cas, c'est pareil.

J'ai beau fouillé dans mon coffre, je n'ai rien trouvé à finir, rien à commencer, rien. J'avais bien un truc sur le feu. Une vague histoire de jus d'orange qui pique, de mystère et de stratégie mais je sais aussi que quand j'aurai rouvert cette boîte, celle-ci va vite me lasser et j'aurai de nouveau envie de la refermer pour la plaquer sous mon lit.
Et puis, on ne peut pas jouer éternellement avec les mêmes jouets, il faut savoir en changer. En trouver de nouveau. Mais j'avoue, je n'ai pas envie de faire la démarche. Je m'ennuie mais je n'ai pas envie de me compliquer la vie.

Pour me dissuader, je réfléchis aux conséquences. Alors je pense à ce nom étrange, à ces dents qui menacent de me mordre quand je ferme les yeux, à certaines nuits, aux sacs de sable,...
Et c'est en énumérant tout ça, en ressassant ça dans ma tête que j'ai tout doucement perdu de vue l'objectif premier de cette liste : me convaincre d'abandonner.
Il le fallait pourtant. De l'eau était passée sous les ponts, tout le monde avait oublié les vieilles rancunes, oubliant parfois jusqu'à l'existence de l'autre. On avait tourné la page. Alors pourquoi une réapparition soudaine donnerait lieu à des retrouvailles en grandes pompes, à de joyeux souvenirs et surtout, effacerait tous les effets secondaires d'une alchimie aussi destructrice et surtout inutile ?

J'en sais rien.

Je vais attendre le prochain cadavre devant ma porte et voir s'il m'inspire plus que les vieux os qu'il y a sous mon lit.

vendredi 11 décembre 2009

Brouillard

Il s'est passé tant de choses ces derniers mois. Pas le temps de me reposer. Encore moins d'ouvrir mon carnet pour y prendre des notes.

J'oublie tout. En fait non. J'aimerai bien.

Les échecs se sont multipliés. J'ai essayé de passer à autre chose. J'ai brisé certains liens. Ma deuxième vie s'est évaporé. Je ne me suis pas enfuie cette fois-ci, j'ai juste tout laisser moisir et disparaître. Je n'ai touché à rien, j'ai juste regarder faire la nature.

Après que tout ait disparu, en me retournant, j'ai aperçu ce post-it avec ce numéro de téléphone. J'ai appelé. Je ne savais pas. Ca a ouvert une voie.

Décembre, ce n'est que le début. Il se doute de quelque chose. Tout comme moi. J'ai vu quelque chose qui dépassait de son coffre, dans sa chambre. Il a bien compris que j'en avais un, moi aussi. Bien fourni. Je me demande quand tout va déraper. Même si j'espère que ça fonctionnera pour longtemps cette fois.

Je suis fatiguée de toujours avancer dans le noir. Ce brouillard me rend curieuse. J'aimerai aller explorer d'avantage. Je l'ai vu s'ouvrir. Il m'a vu saigner. Et alors que je me laissais habiter par mes craintes, déballant tout, il ne m'a pas lâché. Pas une seule seconde. Je suis restée dans ses bras. Il me serrait fort. Il croit que je ne m'en souviens pas. Comment ferai-je pour oublier quelque chose d'aussi important pour moi. J'ai ouvert un livre. Un seul. J'ai tout raconté. Pas la pire histoire mais il a tout de même écouté. C'est ça que j'aime aujourd'hui. Le temps qu'on prend ensemble pour se découvrir. Toutes les histoires ne sont pas belles. Toutes les histoires ne sont pas émouvantes. Mais bien souvent, elles racontent quelque chose d'important, même si c'est bien enfui sous un tissu bien épais de mots.

Il vient d'ailleurs. Je vois plus loin. Il croit savoir. Je crois sentir. J'aime son brouillard. Il me permet d'avancer dans le noir sans pour autant me donner l'impression d'être perdue au milieu de nulle part. Je discerne les formes, les couleurs et sa voix me guide pour avancer. Je l'écoute murmurer sa chanson. La vie est beaucoup plus belle, même avec les contraintes.

Plus que quelques moments et je pourrai jouer tous les jours. Plus que quelques instants et c'en sera fini d'attendre. Après toutes ces années, je crois l'avoir trouver. Il me semble que même si ça n'est pas exactement ce à quoi je m'attendais, je vais néanmoins tout faire pour le garder, ce brouillard.

lundi 22 juin 2009

Le Sorcier

Sur la plage, il y a un vieillard. Un clochard qui danse souvent autour d'un feu.
Pour se réchauffer, disent les gens.

Le vieillard à la longue barbe dessine des cercles avec ses mains, dans les airs. Il marmonne au vent, répond à la mer, hurle aux caprices de la nature.
C'est qu'il est fou, disent les gens.

Le peuple ne le fréquente pas. Des rumeurs vont bon train sur son dos. Il s'en fiche. Il reste à l'écart pour mieux méditer.
Surtout que c'est un grand malade, répètent les gens.

Tout l'intérêt du personnage réside dans le mystère qui l'entoure. Les histoires qu'on lui prête ne sont rien de plus que des inepties qu'on raconte aux enfants. On les entend encore à l'instant.
Si tu ne manges pas tes haricots, tu râteras ta vie comme le clodo de la plage.
Vieille mégère, Vilaine harpie.

On est allé le voir, pour savoir. S'approcher du feu, danser avec lui à la tombée de la nuit, murmurer des notes basses de nos voix les plus graves. On avait même ramené des tambours. Ses prières résonnaient d'avantage. Le ciel l'entendait. Le Sorcier se tortillait de plus bel, en transe, crachant dans le feu, provoquant l'ouragan.
Son vieux manteau à terre, il était presque nu. Il traversait les flammes abandonnant toujours un peu plus de tissu derrière lui. Incontrôlable.
Il avait énervé la mer. Vague après vague, elle se rapprochait de lui, de plus en plus en colère. Elle réclamait son corps, elle réclamait le silence. Il ne lui accordait que mépris.

Les tambours tremblaient de plus en plus fort et nos voix s'élevaient partout et nulle part. Il n'y avait plus que cette plage, le Sorcier, la mer et nous trois.

Elle y est presque. Elle se jette sur le sable comme une désespérée, sous nos yeux inconscients et le Sorcier continue de la narguer. Elle s'approche encore et atteint désormais son feu. Encore un élan et elle l'aura éteint.
Le Sorcier, les pieds dans l'eau, perdant petit à petit l'équilibre sur le sable inconsistant, continue malgré tout à marmonner et à bouger. Le diable ne l'aurait pas plus fait bouger.
Cela fait plus d'une heure que leur petit jeu dure. La mer commence doucement à se retirer. A-t-elle compris que le Sorcier resterait sur sa plage ? C'est têtue une divinité de la nature. Très.

L'orage se met à gronder, le vent souffle dans les cheveux du vieillard. La pluie qui tombe, de plus en plus violente, nous gêne mais nous sommes et nous resterons là. Tous ensemble et unis, dans une seule et grave mélodie. S'il ne tombe pas, nous ne faillirons pas.

Sauf que...

Une immense vague arrive vers la plage, prête à s'abattre, à frapper. La furieuse, elle revient. Nous nous pressons dans les rythmes, pensant faire tomber le sorcier de fatigue. Qu'il arrête sa malheureuse provocation. Non. Rien ne le perturbera ce soir. Ce soir, c'est le soir où il ne fait plus qu'un avec le reste du monde.

Et elle se rapproche la belle bleue, hurlante. Pas de peur de notre côté. Nous savons. La question dont on ignore la réponse, c'est jusqu'où elle frappera.

C'est en levant les yeux sur son sommet qu'on comprit. Elle ne vient pas encore pour nous. Ce soir, c'est le soir du Sorcier, du Vieillard, du Père. La mer nous a juste giflé. Elle a frappé le Sorcier de plein fouet et est reparti avec lui.

Ce fut la dernière fois que le vieux clochard dansa sur la plage.

vendredi 29 mai 2009

Comme une corde qui résonne

Il faisait beau. Un ciel bleu magnifique. Aucun nuage, une légère brise, un soleil resplendissant. Un après-midi comme celui-ci est un miracle dans cette partie du monde. On le célèbre en restant dehors, en se baladant, en souriant aux passants.
Tout ralentit autour de soi. Tout le monde est plus calme, plus heureux. Les enfants jouent dans la fontaine du village. Les parents sont assis sur des bancs, les yeux fermés, face au soleil. Certains discutent, certains se taisent et profitent des rires enfantins. Les vieillards se mêlent à la foule. Ils côtoient les "jeunes voyous" qu'ils évitent tout au long de l'année. Tout ralentit autour de nous.

Assis sur un banc, tous les trois, on regardait les gens passer. Nous nous sentions bien. Presque en harmonie avec le reste du monde. Même avec les gens. Ca changeait. Sur la place où nous étions, il y a plusieurs autres bancs, parsemés partout sur cette grande surface. Des arbres plantés ici et là. Au centre, une statue chargée d'histoires. Les gens passaient devant nous, nous adressant parfois un sourire. Il faisait beau, il faisait bon.

Je regardais mon frère avec son air béa. Ma sœur se collait contre lui. Elle me regardait, surveillant mon humeur, espérant ne pas voir apparaître une pointe de jalousie. Jamais. Mais elle veillait à l'équilibre. Je regardais les gens, je sentais son regard sur moi. Tout le temps. Ça ne me gêne pas. Ça ne risque même plus du tout de me gêner puisque je m'en fiche. Mon intérêt se porte vers un homme qui traverse la place.
Cet homme a le regard soucieux. Il traîne ses pas, retient ses larmes. Traverser la place. La dernière épreuve. C'est palpable. Tout le monde l'a senti mais tout le monde s'en fout. Tout le monde reste sur son nuage. Tout le monde flotte. Tout le monde se détend, se concentre sur son bonheur éphémère.
Ils ont raison.

"Je reviens mais ne m'attendez pas."

Ca m'intéresse. Je suis curieux. Je veux savoir. Je le suis. Il continue de marcher. Je ne le perd pas. Il s'engage dans une ruelle. Je ne suis pas loin. Il entre dans un immeuble. Il semble vide. Je fais de même. Il ne me voit pas. Il poursuit sa route. Il ne se préoccupe de rien. Il prend les escaliers. Les couloirs sont sombres. Il connait le chemin. Il est venu plusieurs fois. Cette fois, c'est la bonne. On marche. Il arrive au dernier étage. Je ne suis pas loin. Il est dans une grande pièce. Ce devait être un salon. Il y a de grandes fenêtres. Il s'assoit par terre. Il pleure.

La nuit tombe. Il pleure encore. Cela fait quelques heures qu'il a ajouté à ses sanglots, des lamentations. Je comprends mieux ce qu'il est venu faire. Surtout "pourquoi". Il se lève. Il regarde à travers la fenêtre. Il voit mon reflet. Il ne me mentionne pas. Il appose ses mains sur la vitre, au-dessus de sa tête. Il les laisse aller, glisser. Il recommence. Il se frotte sur la vitre. Je vois sa silhouette bouger doucement. Je regarde rapidement la lune. Haute. Brillante. Il pose son front contre la vitre. Il hésite. Il se remet à pleurer de plus en plus fort. Il hurle des choses incompréhensibles. Encore. Encore. Il frappe la vitre. Il la fissure. Il la brise. Il traverse la pièce, saisit une chaise cassée. Il l'emporte et s'en sert pour dégager le reste du verre. Il la rejette au loin. Elle se fracasse contre un mur.
Il ne saute pas. Il s'appuie sur le rebord de la fenêtre sans vitre. Il regarde au loin, tente de se calmer. Il se met à parler mais je ne comprends pas l'histoire. Il mêle les faits avec ce qui aurait du se passer, ce qu'il aurait souhaiter qu'il arrive. Ça ne veut rien dire pour moi, je ne le retranscris pas. L'important, c'est qu'il est là. Qu'il avait tout préparé, qu'il avait tout envisagé sauf moi. Mais il s'en moque.

Il traverse la pièce pour rejoindre un placard. Il en sort une corde. Il va chercher une autre chaise, la place au centre de la pièce. Au-dessus, il était prévu d'accrocher un lustre assez solide. Il y accroche sa corde, s'emmêle le cou dedans, fait pivoter la chaise, mets quelques secondes à s'en aller.

La corde a fait un bruit étrange lorsque le corps est tombé. Comme une corde qui résonne.

vendredi 10 avril 2009

Hadrien rencontre J.

Il n'habite pas ici. Il passe son temps dans mon quartier. Celui que j'arpente pour me détendre, pour observer les gens, la nature changeante, l'évolution urbaine... Je l'ai remarqué un jour où il attendait à la vitrine d'un magasin, attendant son tour pour commander un paquet de frites. Un vieillard arrivait à sa hauteur. Sans être réellement à sa hauteur mais sans être complètement derrière, Monsieur J. s'était mis en colère. Un commentaire, puis un hurlement et finalement, en pleine rue, devant plusieurs témoins, il s'était mis à agresser verbalement ce pauvre vieux qui avait pour tort de ne pas s'être complètement mis dans la file d'attente.

Près du lac, un groupe de jeunes qui discutaient, dos à un super paysage que je fixais pendant que je m'approchais du bord de l'eau. Au fur et à mesure que je rejoignais cette plage aménagée, j'entends de plus en plus distinctement leur conversation. Avec son blouson en cuir et ses bagues nombreuses, je l'avais reconnu. Il était là Monsieur J. et il n'était toujours pas content. Il était particulièrement énervé par les propos d'un de ses camarades. "t'es trop con. Tu parles comme un philosophe et ces mecs là, j'peux pas les pifrer. C'est qu'des guignols qui parlent de c'qu'ils connaissent pas. J'leur pisse au cul et toi, j'ai envie de t'en foutre une comme c'est pas permis. J'vais t'en mettre une si tu continues !" Quelle idée de parler de cinéma avec Monsieur J. Je commençais à penser qu'il était du genre nerveux à s'énerver pour un rien, se contrariant systématiquement pour des choses futiles. Qu'est-ce qui avait pu déclencher une frustration pareille ?

Monsieur J. partage souvent sur le même trottoir que moi. On se croise. Mon épaule s'en lasse d'ailleurs assez vite. Monsieur J. n'est pas, ce qu'on appelle, une personne délicate. Il n'est pas rare qu'il bouscule les autres passants, affichant un regard noir, préparant déjà une longue tirade entre ses dents dans le cas où quelqu'un oserait lui faire remarquer son impolitesse. Il existe, il est furax et il cherche désespérément quelqu'un pour laisser exploser sa colère. Un jeune, un peu trop grande gueule, certes, mais néanmoins innocent et surtout victime, déjà, d'une bousculade préméditée. Et quelle raclée il s'est pris, gratuitement, pour un rien ? Laissé à moitié mort sur un trottoir, massacré à coups de pieds et de poings devant des témoins démunis, terrifiés par une telle violence et une telle rage. Pourtant, les peureux auront tout de même porté secours et assistance au blessé une fois que la brute a eu le dos tourné.

Le chien enragé est victime d'une maladie transmissible entre animaux mais cet humain, quelle mouche l'avait piqué ? Je cherchais encore des raisons, des explications... On appelle aussi ça des "excuses" pour un tel comportement mais je n'y crois pas. Certains humains subissent le pire et arrivent pourtant à prendre sur eux pour n'offrir que le meilleur. "Ca dépend des gens"... Mais à toujours vouloir excuser, on s'écrase et on tolère l'intolérable. Sarah me dit parfois que je suis trop radical, que j'en attend trop des gens. Alexandre penserait sans doute aussi la même chose s'il n'éprouvait pas un profond mépris pour ses frères humains. J'en attendrais trop d'eux... J'ai sans doute aussi un problème, je ne l'écarte pas. Mais dans l'immédiat, j'ai surtout trouvé un cobaye pour certaines idées que je souhaitais mettre en pratique depuis quelques temps...

J'hésite aujourd'hui. Il est dans un bar mal fréquenté. Je l'ai suivi jusque là. Les bagarres éclatent fréquemment. Des hommes se blessent parfois grièvement mais tout le monde s'en moque. Des rebus de la ville, ceux qu'on ne veut pas avoir dans notre vie, ceux qui nous font assez perdre notre temps, notre énergie ou notre sang. Il racontait ses exploits, s'énervait rapidement contre un auditeur qui doutait de son récit, devenait agressif. Il n'a suffit de rien pour que ça pête. Ils se sont jetés les uns sur les autres, se bousculant, se frappant. Ils étaient plusieurs sur lui. Pas nombreux pour le défendre. J'avais laissé tomber un canif à terre. Ca n'a pas loupé. Le premier qui l'a ramassé n'a pu s'empêcher de s'en servir contre lui. Les autres ne se sont pas écarté. Ils ont continué à l'assommer de coups même lorsqu'il ne remuait plus. Il s'écroulait. Il cherchait un endroit où accrocher son regard. Je le fixais tout en finissant mon verre. Je m'étais éloigné mais j'étais encore suffisamment proche pour qu'il agonise en me regardant droit dans les yeux. Il était effrayé. Depuis très longtemps, il n'avait plus ressenti la peur sous cette forme. Il tremblait. Poignardé aux pires endroits, dans le pire endroit au monde... Personne n'allait s'emmerder à appeler une ambulance ou les flics. J'ai fini mon verre, je suis parti. Lui aussi.

mardi 24 mars 2009

Hadrien rencontre D.

Monsieur D. est un dieu. Il sait beaucoup de choses. C'est un jeune de 21 ans à peine. Il sait pirater des ordinateurs. Il est modérateur de nombreux forums. Il a conçu plusieurs sites internet. Il fait parti d'une communauté de "hackers". Il connaît pas mal de tuyaux. Il est sur tout les fronts. Il maitrise beaucoup d'applications. Les ordinateurs, internet, les trucs illégaux, ça n'a pas de secret pour lui...
... qu'il dit.

Monsieur D. fait pleins de fautes de français. Il a énormément de lacunes en orthographe, en conjugaison, en grammaire. Il suit des cours de français par obligation. Il n'écoute pas ce que lui dit son professeur, il préfère dessiner sans s'intéresser. A la fin de chaque cours, il va se justifier auprès d'elle : "Je suis dyslexique et dysorthographique... Quand c'est pas l'un, c'est l'autre ! J'ai vraiment pas de chance" annonce-t-il avec un grand sourire faussement navré.

Monsieur D. raconte partout qu'il est ailleurs, que son esprit vagabonde, qu'il est un rêveur dont l'esprit s'emballe vite. Une fois lancé, on ne peut plus l'arrêter. Monsieur D. veut être un webdesigner renommé. Pourtant, lorsqu'on lui demande d'apprendre l'utilisation d'outils qui permettent un rendu réaliste, Monsieur D. s'insurge : "j'aime pas le réel ! C'est nul !". Lorsque ses professeurs tentent de lui expliquer qu'un client s'en moquera de son opinion, il reprend de plus belle : "j'm'en fous. Moi j'arrive à faire de chouettes illustrations à partir de rien... Savoir retoucher une photo, je m'en fiche." Monsieur D. est un rêveur qui aime rester bien enfermé dans son petit monde. En sortir le contrarie fortement.

Monsieur D. est à ce point dans son monde, à se forger ses principes, ses codes, ses opinions toutes faites que lorsqu'il se heurte à certaines vérités prouvées et vérifiées, il réagit comme un ordinateur qui s'apprête à déclarer forfait : "Je préfère penser comme je veux."
Ainsi, si vous rencontrez Monsieur D., ne vous inquiétez pas s'il prête un autre sens aux mots que nous autre employons selon certaines définitions. Ne vous inquiétez pas s'il vous raconte qu'il connaît des extra-terrestres. Ne vous inquiétez pas s'il crache et se met à jurer comme un charetier si vous évoquez un nom de personnalité qu'il a décidé de détester... Vous considèrerez ses raisons comme complètement abruties mais pour lui, c'est absolument convaincant et même légitime.

Monsieur D. parle tout le temps. Il commente tout ce qu'il fait. Il aime être le centre de l'attention des autres. Soit pour qu'on soit fier de lui, qu'on l'envie ou qu'on le plaigne. Il est bruyant, renifle, toussote, respire aussi fort qu'un buffle enrhumé. Lorsqu'il est à vos côtés, il est présent pour vos cinq sens. Aucun doute là-dessus... Vous provoquant parfois une nausée à force de renifler et de ravaler le liquide jaunâtre qui se trouvait dans son nez, ou encore de produire ces bruits de bouche que les vieux font lorsqu'ils tentent de rattraper leur bave qu'ils ne contrôlent plus. Monsieur D. est présent et veut le rester. Il aime se sentir exister à travers vos yeux.


Je n'éprouve pas de pitié pour les faibles. Il semble évident qu'il a du passer une bonne partie de son enfance à chercher désespérement les regards approbateurs de sa mère et qu'il s'est senti misérable le reste de cette période mais pourtant, je m'en fiche. Il me pourrit mon air, mon intellect, ma raison. Ma patience arrive à ses limites et pourtant, j'en ai à revendre de cette mythique patience qui a su me distinguer de mes pairs. Mais là, c'en est trop. L'égorger, lui arracher la langue, le noyer dans la vase, lui inverser les yeux, ça serait trop facile.
Je ne sais pas si c'est de la perversité ou mon côté un poil pédagogue mais l'humiliation me semblait être une méthode très à propos. Déverser un flot de paroles sans aggressivité mais qui pointerait là où il a toujours su que ça lui faisait mal. Insister sur mes théories pour voir si ça le touchait et constater que ça le touchait bien. Le voir nier, lutter, pleurer comme une fillette... Il implorait quand il entendait et comprenait -enfin- le sens des mots que j'employais. Il aurait aimé être sourd, celui qui se prétendait un fin connaisseur de musique rock, qui s'envoyait des heures et des heures de mauvaises notes dans les oreilles, si fort que tout son entourage les entendaient également. Désormais, ce n'est pas nous qui retenons entre nos dents des pulsions de rage, c'est bien lui, le petit D., qui retient entre ses pauvres petites mains, son couteau, celui que sa mère lui a offert quand il est entré chez les scouts.

J'avais ouvert les vannes d'un flot de paroles insupportables et il allait bientôt en faire de même avec ses propres veines. Je le sentais prêt à craquer. J'en rajoutais. Je souhaitais vraiment qu'il soit convaincu, au moment de rendre l'âme, qu'il n'était un minable, un imposteur, une petite merde... un parasite. Un coup de spray dans la gueule mon ami et t'arrêteras enfin de me bourdonner dans les oreilles.

vendredi 6 février 2009

La partie de cartes 1/2

Chaque vendredi soir, les cinq se réunissent. Dans la Grande Ville, dans un quartier tranquille, ils louent ensemble un appartement pour leurs parties. Lucas et sa compagne arrivent toujours les premiers. Ils gravissent les escaliers, frappent à la porte. Sarah est déjà là. La table est déjà prête, les enchères ont déjà été apportées. Ils vont d'abord s'installer dans le salon. Vautrés sur le canapé en cuir vert, Lucas raconte combien sa semaine a été pénible. Il a du se trainer à des avant-premières qu'il qualifie de minables, peuplés de gens trop égocentriques pour s'intéresser à autre chose qu'à leur propre présence. Il dit s'être amusé pendant les films, avoir beaucoup ri lorsque personne ne réagissait, avoir repéré une jeune femme charmante. Son amie acquiesçait. Ils allaient aborder ensemble un sujet plus érotique mais Valentin et Mathieu venaient d'arriver.
Ils échangèrent des avis sur les dernières sorties musicales. Mathieu étant dans le métier, il avait tendance à ne parler que de ça. Ils évoquèrent légèrement l'actualité et avant que le sujet ne les enflamme, Sarah se leva pour inciter tout son petit monde à se positionner autour de la table noire qui trônait au milieu de la salle principale.

Sur des petites tables, à côté de chaque joueur, étaient disposés de la nourriture et de quoi se rafraîchir. Devant eux, des notes. Au centre de la table, 5 bocaux.

La partie commença. Lucas, comme à son habitude, affichait un sourire serein. Clémentine le regardait avec admiration, n'analysait même pas son propre jeu, elle regardait son cher et tendre avec l'air le plus niais du monde. Pourtant Sarah savait qu'il fallait se méfier de cette apparence de godiche docile. Clémentine et elle ont joué des parties assez énergiques, à quelques risques d'en venir aux mains. Pour cette raison peut-être que Mathieu surveillait les gestes de Clémentine tandis que Valentin s'évertuait à attirer l'attention de Sarah.
A les regarder tous les cinq, attablés les uns à côté des autres, sans savoir pourquoi, on aurait jamais pu penser qu'ils avaient autant en commun.

Lucas est quelqu'un de soigné. Habillé de manière très sobre mais néanmoins très classe, il est très conscient que l'apparence peut être déterminante dans certaines parties qu'ils jouent au quotidien. Les femmes captent le charme de cet homme dès qu'il pénètre dans une pièce. Elles sont toutes à ses pieds, s'arrachent sa compagnie. Cela n'a pas toujours été le cas. Autrefois, il était l'asocial qui se terrait dans sa chambre de bonne pour écrire des papiers publiés dans la gazette de sa campagne. Aujourd'hui, il est la réussite de la critique culturelle et cela l'amuse beaucoup.

L'apparente fragilité physique et psychique de Clémentine fait d'elle le parfait appât pour tous les hommes férus de belles plantes. Elle est petite, mince et doté d'un regard enfantin. Pourtant, derrière ces yeux innocents se cache une prédatrice hors du commun qui parvient à obtenir tout ce qu'elle désire. C'est une jeune dame à l'intellect très développé qui parvient à anticiper le moindre fait, le moindre geste de n'importe qui, n'importe quand. La manipulation de ses semblables a toujours été une seconde nature.

On pourrait retrouver des similitudes comportementales entre Valentin et Hadrien. Ils disposent tous deux d'un calme olympien. Aucun des deux ne s'emportent facilement. Ils aiment l'Histoire. Ils aiment comprendre. Ce sont d'excellents diplomates. Ils ne se font jamais remarquer et travaillent tout deux dans des milieux où ils n'ont que très peu à faire avec le public.

Autrefois, Mathieu vivait dans un squat avec des amis à lui. Ils s'étaient débrouillés pour installer du matériel afin d'y créer et enregistrer leur musique. Comme pour Lucas, un évènement a changé sa vie et il avait délaissé le hasard des revenus, les aléas de la popularité musicale pour des valeurs sures. Il travaille toujours dans la musique mais crée beaucoup moins qu'avant, faute de temps. C'est un passionné qui se laisse facilement emporter. Sa manie de flanquer des vérités dures à entendre au visage de ceux qui souhaiteraient être sourds a failli lui causer beaucoup de problèmes mais son instinct de survie et sa vivacité d'esprit ont toujours contrebalancé pour lui éviter les pires dégâts.

C'est avec ces joueurs que Sarah avait décidé d'inventer un nouveau jeu. Comme on peut s'en douter, un jeu dangereux.

vendredi 2 janvier 2009

jeudi 1 janvier 2009

Note de l'auteur

Ca commence bien... Premières heures en 2009, plongée dans mon sommeil et j'ai déjà des visions de massacre dans un rêve...

Je suis Alexandre, enfant. Il est dans une grande pièce, blanche et froide. Il s'approche d'un homme qui se penche sur une table. Sur la table, il y a un enfant et du rouge. L'homme est le père de l'enfant. Je m'approche de la table. Il y a une chaise à côté. Je monte dessus pour bien voir.
Sur la table, il y a l'enfant qui gigote. Ses bras n'arrêtent pas de bouger dans tous les sens, le reste semble immobile. Les mouvements des bras font bouger la table. Il est hystérique.

Je suis debout sur la chaise. Il y a un bout de tissu blanc et rouge sur la tête de l'enfant. L'enfant respire bizarrement. On dirait qu'il essaie de crier mais il n'y a aucun son dans la pièce. Enfin si, parfois, j'entends le père qui travaille sur quelque chose. L'enfant, en respirant, en tentant de crier, aspire le drap et le recrache. Le sommet du crâne est bizarre.

Je regarde un peu ailleurs sur le corps et je comprends que l'homme travaille sur le corps de l'enfant. Ou plutôt dans le corps de l'enfant. Le fils est cassé. Il dysfonctionne. Le père pense pouvoir réparer son petit garçon. Il est calme et très appliqué dans ce qu'il fait. Il semble maîtriser ce qu'il fait. Il est impressionnant. Je regarde faire. Rien ne me choque. Je suis heureux d'être là, de pouvoir assister, regarder et vivre ce moment.

Il y a du sang partout. Il y en a par terre. Je ne veux pas salir mes souliers. Je reste perché sur ma chaise. Je regarde.

Le tissu qui couvre le visage est imbibé de sang maintenant. L'enfant continue de s'agiter. Le père se retourne, pour attraper des instruments sur une petite table qu'il y a derrière lui, que je n'avais pas vue avant. En pivotant, il a fait glissé le tissu. Le visage de l'enfant, je le vois. Je souris car j'ai compris.

Le père se retourne. Il avait ouvert le crâne de son fils. Le cerveau était à découvert. L'enfant a versé des larmes. Les deux yeux grands ouverts fixent le père mais le père vient de comprendre.
Sa sérénité est partie. Il est horrifié. Il vient de réaliser ce qu'il a fait. Il n'est pas Dieu. L'enfant n'est pas une machine. Les pièces sont jetées et ne peuvent se réinsérer. Le père hurle et s'effondre sur le sol.

Je suis satisfait. Je souris en fermant les yeux.

Et moi, dans mon lit, je viens de me réveiller.